Parmi tous les événements en marge de Vinexpo 2003, s'il
en est un que j'attendais avec impatience, c'est bien le dîner Sapros,
annoncé comme une “symphonie en liquoreux” :
Dix plats imaginés par le chef Henri
Gagneux
autour de dix vins d'exception...
...l'occasion de goûter dix harmonies magiques, un évènement
qui a réuni près de 130 personnes en la Maison du Pays Fronsadais.
SAPROS est une association de vignerons désireux
de promouvoir les vins moelleux et liquoreux.
Ils partagent une certaine éthique, une volonté de n'utiliser
que les moyens naturels c'est à dire la pourriture noble (botrytis)
et le passerillage, et d'écarter tous moyens artificiels comme
la chaptalisation (ajout de sucre en poudre).
Le président d'honneur, le Comte de Lur Saluces (Château
d'Yquem), et les 13 membres fondateurs représentent assez bien
le summum actuel de qualité des vins liquoreux.
En savoir plus...
Ne comptez pas sur moi pour classer ces 10 liquoreux entre eux...
J'ai pu trouver que certains étaient mieux mis en valeur que d'autres,
mais on se situe à un tel niveau de qualité qu'il me paraît
saugrenu, voire mesquin, de vouloir les classer.
Ce sont là dix grands vins. D'ailleurs, en les dégustant,
on a assez souvent cette impression d'être en présence d'une
petite oeuvre d'art.
Fromage de tête à la
rose
Domaine Ostertag - Gewurztraminer
Vendanges Tardives Fronholz 2000 |
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Avec ce premier vin, on entre directement
dans le vif du sujet. Il n'y a pas de faire-valoir en guise d'amuse-bouche
et la barre est mise d'emblée très très haut...
Déjà superbe d'équilibre, de complexité
et d'harmonie, le vin est encore magnifié par le sel du fromage
de tête. Le plat est en soi magnifique mais a juste un peu du
mal à se hisser au niveau d'élégance du vin. |
Nems de porc aux épices
Domaine Pierre Gaillard - Condrieu,
Fleurs d'Automne 2002 |
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L'alliance est ici recherchée
sur les épices, le côté oriental. Les nombreux
arômes du plat et du vin forment un véritable kaléidoscope
de saveurs. Surmontant sans problème les épices, le
vin domine toutefois le plat assez largement, par sa richesse et sa
puissance. |
Gelée de Saint-Jacques à
la cardamome
Domaine Jo Pithon - Coteaux du layon,
Les 4 Villages 2001 |
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Avant le plat, le vin paraît
très retenu, il semble rechigner à s'exprimer. Sur le
plat, il se révéle, les arômes iodés se
complètent pour former un bel ensemble, marqué par une
certaine minéralité. L'accord fonctionne merveilleusement
bien mais le vin semble être loin d'exprimer tout son potentiel.
Le plat, lui, est vraiment superbe. |
Flan salé aux morilles et citron
confit
Château de Suronde - Quarts-de-chaume 1999 |
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A mes yeux, c'est le plus bel accord
de la soirée, une superbe alliance sur les arômes citronnés,
sur une acidité noble et élégante. Le sel du
flan semble propulser le fabuleux Quarts de Chaume de Francis Poirel
et mâchonner le citron confit avec une gorgée de vin
constitue un ensemble rare. Une fusion parfaite. |
Foie gras au jus de betterave, pain
d'épices,
vinaigre balsamique
Cru Barréjats - Sauternes 1996 |
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Classicisme. L'alliance présente
des aspects assez intéressants sur la betterave mais le vin
domine assez largement le plat, que ce soit au niveau de sa puissance
ou de sa complexité. Le plat est beau mais travaille plus dans
les subtilités. |
Henri Gagneux est le chef-cuisinier
de l'Auberge du Père Floranc à Wettolsheim en Alsace. |
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Il est particulièrement sensible aux accords de sa cuisine
avec les vins...
(Il était auparavant chef-cuisinier du restaurant « La Petite Palette »
à Neuf-Brisach.) |
Escalope de foie gras mariné
à la truffe blanche d'Alba
Domaine Marcel Deiss - Gewurztraminer
Vendanges Tardives 1999 |
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Superbe plat, tout en saveurs subtiles,
en douceur, en complexité. Le vin s'exprime lui aussi dans
le registre de la délicatesse, mais semble très légèrement
dominé par le plat. Le pain noir allemand semble gommer une
partie de la complexité subtile de ce vin. |
Escalope de canard à la poudre
d'orange
et jambon de Parme
Château Guiraud - Sauternes 1998 |
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On retrouve l'alliance classique foie
gras / sauternes, mais cette fois sans sauce et avec un accord intéressant
sur la poudre d'orange. Le vin souffre un peu de passer juste après
le Cru Barréjats, il paraît bien moins puissant. Ne serait-ce
que pour une question de millésime, il eut été
préférable d'inverser l'ordre de passage de ces deux
vins. |
Tajine d'agneau au gingembre
Domaine Patrick Baudouin - Coteaux du layon,
Grains Nobles 1999 |
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L'alliance était recherchée
sur le côté oriental du plat. Il faut reconnaître
que c'est l'accord qui a le moins bien fonctionné de la soirée.
Le plat paraissait un peu fade, le gingembre était notemment
bien difficile à détecter. Cela ne signifie pas pour
autant que marier viande et liquoreux soit plus hasardeux car le superbe
moelleux de la viande s'alliait parfaitement à la somptueuse
texture du vin. |
Confit de lapereau au coing et épices
Domaine de Causse Marines - Gaillac,
Délires d'Automne 2001 |
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Le moteur de l'accord est ici le coing.
Le vin de Patrice Lescarret est un véritable panier de fruits
confits, abricot et coing en première ligne, une superbe friandise
à la texture assez épaisse. L'accord fonctionne bien
mais le coing semble trop important dans le plat, qui paraît
dès lors moins équilibré que le vin.
A noter que ce magnifique Délires d'Automne, dont l'étiquette
s'enroule gracieusement autour de la bouteille, est passerillé
à 50%. |
Tchina au chocolat amer
Domaine de la Bongran - Mâcon, Cuvée Botrytis 2000 |
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Pour conclure, ce dessert nous proposait
l'alliance avec le chocolat, accord qui m'a toujours semblé
assez délicat. Sans être totalement convaincu, il faut
reconnaître que le vin de Jean Thévenet apportait une
fraîcheur bienvenue en cette fin de repas. C'est un beau vin,
tout en délicatesse. |
Comme le prouve ce repas, les deux meilleurs catalyseurs pour faire
rebondir les vins liquoreux sont les épices (légers) et
surtout le sel.
Le réflexe de réserver les vins liquoreux pour les desserts
est terriblement réducteur car la confrontation se réduit
trop souvent à une compétition au niveau du sucre, alors
que ces vins (quand ils sont bien faits...) ont beaucoup plus à
exprimer, une véritable palette de saveurs et d'arômes.
La formule de cette soirée, en tout cas, me paraît excellente.
J'aurais peut-être tendance à mettre moins de plats pour
avoir un ensemble encore plus percutant et j'essaierais sans doute d'aérer
les vins: Sans utiliser une centaine de carafes, un simple transvasement,
deux heures avant le repas, aurait sans doute été bénéfique.
Ce fut un très beau repas, une expérience assez unique.
Incontestablement une réussite.
Remi Loisel - Juin 2003